LE VENT DIRA MON NOM

Un face à face hypnotique, difficile, et utile.

La mère d'une jeune fille parmi tant d’autres,  un homme qui n’a fait qu’ « exécuter des ordres," et a brutalement assassiné et  violé vingt-deux jeunes femmes. Elle l’a fait libérer seulement quelques minutes avant qu'il ne soit exécuté, pour crime de guerre. Un sursis, mais pas une sortie. Il devra lui obéir pour le reste de sa vie. Elle le met alors aux travaux forcés, le traite comme un chien, en fait son esclave. Cette mère frappe, elle cogne, sa douleur est immense, elle n’est pas une sainte, elle ne peut pas l’être. C’est une femme face à sa douleur. Ca sonne comme un fantasme de vengeance. Sa capacité à la haine et la brutalité est à la fois compréhensible et écœurante. Sa colère et sa frustration sont effrayantes à contempler.  Lui, c’est « le garçon d'à côté » aux parents respectables qui a été rattrapé par les événements politiques d'une guerre qu'il n'a jamais compris. Comme le bon fils, le bon soldat, il obéit à ses supérieurs pour constater que, à la fin de la guerre, il est devenu le bouc émissaire des crimes : "tout le monde faisait." Et voilà comment le garçon d’à côté est devenu le meurtrier, le génocidaire: la plus détestée, la créature vile dans tout le Rwanda.

Mais il apparait aussi victime du génocide,  au-delà de son contrôle, et  au-delà de sa compréhension. Un enfant confus et immature sous l'arrogance du soldat, un pion dans une lutte écrasante, qui a des conséquences épouvantables. Est-ce une victime de plus ? «Je ne faisais que suivre les ordres», est-ce une défense plus valable qu'il n'y paraît? Est-il prêt à faire n'importe quoi pour échapper à la mort si on lui en donne la chance?   

Et puis, il y a cette forêt… Cette femme l’entraine sur le chemin de la mémoire, et de la reconnaissance. Elle veut quelque chose de plus que la vengeance : la vérité. Comment pleurer les morts quand ils n’ont plus de nom ? En le contraignant à renommer ses victimes, à leur rendre leur identité, les anonymes, les cadavres à moitié pourries dans un charnier commencent à prendre un nom et, tout simplement, à redevenir humain. C'est un acte de résurrection et de remise en état qui se trouve au cœur du théâtre. A cet endroit, ils peuvent tous les deux se regarder et tacher de comprendre, ou du moins se rendre compte, enchaînés ensemble par l'horreur qu'ils partagent en tant que victime et agresseur et qui les lient : Y a-t-il une possibilité pour le pardon et la réconciliation ?  Les victimes innocentes pourraient être nos filles, mais les agresseurs pourraient être nos fils. Nous découvrons de ces  vérités qu’on souhaiterait pouvoir garder enterrées sous la terre roussie par le meurtre. La fragilité humaine se cache ici,  au-dessous de la terreur de guerre : la banalité-du-mal - c'est le Diable dans  le garçon d'à côté. Pour citer la pensée de Simone Weill, ce qu’il y a de plus perturbant, c’est de constater l’indifférence, la désinvolture qui accompagnent le crime, autrement dit, l’absence de conscience du mal. Le plus terrible : cette désinvolture n’est pas exceptionnelle, mais générale au contraire. Faiblesse terrible de la condition humaine : on est toujours barbare avec les faibles. Il y a pourtant un problème : ni vous ni moi n’avons l’impression d’être capable de devenir des barbares. Si pourtant nous le sommes, comment cela pourrait-il s’accomplir ?

  L’homme devient barbare sous la pression du groupe, lorsque celui-ci incite au crime et identifie le crime au courage. Il est extraordinairement difficile à un individu de résister à la pression du groupe « il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d’âme qu’il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l’ai rencontrée nulle part »

Nous acceptons que ce genre de mal arrive, nous voyons pourquoi cela arrive, comment ça se passe et il n'y a pas de réponses faciles : c’est toute la complexité du génocide.

 

Avec Jérémie Chaplain, Juliette Delfau

Mise en scène collective

Collaboration artistique: Ingrid Lebrasseur

 

Création le 8 avril 2014 au Centre du Patrimoine Arménien (Valence)